FESTIVAL ART SONIC

Du 18 au 19 juillet 2025 BRIOUZE (61) ORNE

À Briouze, en plein cœur de l’Orne, le festival Art Sonic célèbre cette année sa 28e édition avec une programmation qui mêle têtes d’affiche fédératrices et projets plus confidentiels, toujours dans un esprit alternatif. Pour comprendre ce qui fait la singularité de cet événement rural devenu incontournable, on a rencontré Xavier Carjuzââ, responsable de la programmation, de la communication et de la coordination générale du festival. Au fil de l’échange, on découvre un passionné, engagé dans une démarche sincère : la parité n’est pas un mot creux, elle traverse toute sa réflexion, jusque dans le choix de l’illustratrice Petrouchkaka, qui signe cette année un visuel haut en couleurs. Programmation, ancrage territorial, fête collective et choix assumés : Xavier nous raconte de l’intérieur ce qui l’anime et ce qu’il veut transmettre.

XAVIER CARJUZAA©Voilacam

AAS : Bonjour Xavier, on ne te connaît pas encore chez Artiste à Suivre. Est-ce que tu peux déjà te présenter, nous dire d’où tu viens, ton parcours, et ce qui t’a amené à rejoindre l’équipe d’Art Sonic ?

XAVIER : Je suis le seul salarié à l’année et officiellement, je suis directeur de production du festival Art Sonic, mais dans les faits, ça englobe beaucoup plus que ça. Je m’occupe aussi de la  programmation, de la communication, du graphisme, de la billetterie et de la coordination générale. C’est un peu le quotidien des petites équipes : on touche à tout. Je suis épaulé à certains moments par un·e stagiaire ou un·e salarié·e en CDD, surtout entre avril et juillet. Et toute l’année, on peut compter sur un conseil d’administration bénévole de 13 personnes, avec différentes casquettes.

Je suis basé à Rennes une bonne partie de l’année, et je suis briouzin l’autre partie de l’année. J’ai commencé dans la com’ du festival Les Trois Éléphants à Lassay-les-Châteaux, puis j’ai fait mes armes aux Trans Musicales, d’abord comme bénévole, puis comme salarié. J’y ai bossé sur plein de projets satellites : les Trans en prison, Trans à l’export… C’est à cette époque que j’ai découvert Art Sonic, quand plusieurs festivals mutualisaient leurs supports de com. On se répartissait le flyage dans les festivals, les équipes se connaissaient. J’avais en tête Art Sonic depuis un petit moment, et quand l’opportunité s’est présentée, je l’ai saisie. Au départ je faisais trois mois à Art Sonic (mai, juin, juillet) et toute la saison d’hiver je la faisais aux Trans. Puis l’aventure a grandi, et j’ai fini par choisir Art Sonic, convaincu qu’il y avait encore plein de choses à construire.

AAS : Quand on regarde l’affiche 2025, on voit cohabiter des noms très attendus comme Clara Luciani ou Gazo, et des artistes beaucoup plus émergents comme Maddy Street, Madam. Comment tu construis cet équilibre ? Qu’est-ce que ça dit de ta manière de programmer ?

XAVIER : La programmation du festival s’inscrit vraiment dans la continuité du projet. Evidemment, je garde en tête d’où on vient : ce qu’est notre public, notre territoire, l’histoire du festival. Et cette histoire-là, elle est très punk rock. Les premières années, on avait quand même des artistes très punk, puis du métal… En fait tout ce qui est alternatif, même dans le rap. Aujourd’hui, c’est un style très à la mode, mais Art Sonic a été l’un des premiers festivals à programmer La Rumeur, Saïan Supa Crew ou Les Svinkels par exemple. Je garde toujours en tête : qui on est, qui on a été, et ce qu’on a envie de défendre. Et je pense que c’est ce mélange-là qui définit notre ligne aujourd’hui : une fidélité à notre histoire et à notre identité, tout en s’ouvrant à ce que sont les musiques actuelles aujourd’hui.

En général, je commence par réfléchir aux têtes d’affiche, comme beaucoup, je pense. Depuis quelques années, on essaie d’avoir un headliner hip-hop, et quelque chose de plus familial. L’an dernier, c’était Louise Attaque. Cette année, on a eu la chance de pouvoir programmer Clara Luciani. Elle coche toutes les cases : elle est partout, elle touche toutes les générations, c’est une artiste très rassembleuse qui correspond parfaitement à cet équilibre  et en plus, c’est une femme. Je tenais à ce qu’il y ait une femme en haut de l’affiche. On avait un visuel très féministe cette année. La parité, c’était un enjeu important pour moi. J’ai vraiment construit la programmation en partant de Clara Luciani et Gazo.

Ensuite, j’ai travaillé autour, en équilibrant les styles. Chez nous, on aime proposer un éventail artistique très large. Deluxe s’est imposé très rapidement  avec leur nouvel album. Rilès, qu’on avait fait venir en découverte en 2018, revient aujourd’hui en tête d’affiche, avec le succès qu’on lui connaît. Et puis, bien sûr, on garde une place pour le métal. Cette année, on devait programmer Ultra Vomit, mais ils ont annulé deux mois avant pour raisons de santé. On les a remplacés par Mass Hysteria, avec qui on a une belle histoire. On a grandi avec eux, et ils fêtent cette année leurs 30 ans… comme l’asso. Alors oui, j’ai un peu pleuré sur l’annulation d’Ultra Vomit, mais on a trouvé très vite une solution qui avait du sens. Pour les artistes émergents, j’essaie aussi de garder une vraie diversité dans les styles. Pourquoi Bad Bad Bird ? Pourquoi Furies ? Parce qu’on aime défendre des projets qu’on ne voit pas partout. Furies, c’est un groupe de métal porté par des nanas. Bad Bad Bird, c’est de la pop punk, et là aussi c’est une femme au centre du projet. Même en techno, avec Lays ou Sakū Sarrā, je tenais à ce que ce soient des artistes féminines. On essaie de garder, dans notre approche ce côté un peu alternatif dans la prog, qui reste profondément lié à l’ADN du festival.

AAS : La parité, justement, est devenue un enjeu central dans les festivals. Est-ce que c’était une priorité pour toi cette année ?

XAVIER : Oui, clairement. C’était un objectif prioritaire pour moi, je voulais vraiment qu’on y arrive cette année. C’est très simple : j’ai une ado de 12 ans. L’an dernier, c’était la première fois qu’elle venait au festival, et j’aime l’idée qu’elle puisse se retrouver face à une chanteuse de métal, une rappeuse, ou une nana qui va tout retourner en techno à 3h du matin. Et qu’elle puisse se dire : « c’est ok, tout est ouvert pour moi, peu importe le style musical, je peux être là. ». Je peux l’emmener voir un concert sans avoir besoin de lui dire « tu vois, papa, a programmé une femme ». D’elle-même elle se rendra compte qu’elle pourra se transposer sur scène et c’est une vraie fierté.Ce qui est chouette aussi, c’est que comme je fais à la fois la programmation et la communication, je peux travailler le visuel en même temps que la prog. Cette année, j’ai eu la chance de collaborer avec Petrouchkaka une illustratrice. Elle nous avait repérés via Topaff, le site de classement d’affiches de festivals, et nous avait écrit en disant qu’elle aimait bien ce qu’on faisait, qu’elle se reconnaissait dans la prog.

Je suis allé voir son travail, et c’était une évidence. De mon côté, j’étais en train de bosser une prog vraiment 50/50 en termes de parité. Elle, elle est à fond dans le féminisme. C’est une illustratrice qui met toujours des femmes en avant, avec une imagerie inspirée de l’Égypte ancienne, de la Grèce antique… Ses femmes ont souvent des têtes d’oiseaux, des symboles très forts. Et j’ai vu dans ses déclinaisons des choses qui m’ont fait penser au catch, à la lucha libre. Je lui ai proposé : « Et si on bossait là-dessus ? Des personnages colorés, non genrés, festifs, entre le Mexique et la teuf ? » Elle a adoré. On a construit ensemble ce visuel fort, qui est venu soutenir la programmation. Tout ça est lié. L’objectif, c’était vraiment de faire une affiche paritaire, mais aussi de mettre en lumière des styles où les femmes sont encore trop peu visibles. On voit de plus en plus de chanteuses pop, un peu plus de rappeuses aussi, mais beaucoup moins de groupes de métal féminins, ou de figures féminines en punk rock. Et dans les musiques électroniques, même s’il y a plus de femmes aujourd’hui, ça reste encore fragile. Donc oui, c’était une priorité. Et on a essayé de la défendre dans tous les aspects du festival.

AAS : Avec les baisses de subventions, comment avez-vous tenu le cap cette année à Briouze ?

XAVIER : Pour l’instant, on est plutôt soutenus. Globalement, les subventions ont été maintenues, il n’y a que le Département qui a baissé de 10% mais c’est une réduction généralisée. Donc, ça  ne s’est pas trop ressenti cette année. Mais on reste vigilant pour l’an prochain : rien n’est acquis. Notre projet est très bien compris des institutions, que ce soit pour le volet artistique, le projet culturel, mais surtout ce que l’on met en place autour de l’écologie, du tri sélectif, de la prévention, des transports, de la mobilité, ou encore de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Il y a eu beaucoup de résonance sur l’affiche et sur la parité, notamment auprès des partenaires institutionnels. Parce qu’on en parle beaucoup, mais très peu le font vraiment. Donc ça a été très bien perçu.  Ce n’était pas un argument de départ, mais quand les partenaires te disent : « On l’a vu, et c’est bien. », c’est encourageant. J’espère que tous ces efforts pèseront dans la balance pour maintenir les subventions l’an prochain. Ce qui est très important aussi à souligner, c’est qu’à jauge équivalente et site équivalent, notre budget explose d’année en année. Cette édition 2025, c’est le même site, les mêmes scènes, le même nombre d’artistes. Et pourtant, en dix ans, on est passés d’environ 900 000 euros à 1,6 million. On essaie au maximum de ne pas augmenter le prix des billets, parce que c’est l’un des rares leviers sur lesquels on peut encore jouer. Mais pour être très transparent et c’est le cas de plus en plus de festivals, même en étant complet, avec 100 % de billetterie vendue, on amortit tout juste le festival. Donc oui la prise de risque qui est énorme.

AAS : On parle souvent de l’ambiance à Briouze… Qu’est-ce qui fait, selon toi, le charme d’Art Sonic ?

XAVIER : La programmation, c’est sûr, mais pas que. Il y a aussi l’ambiance. On fait encore partie des rares festivals à proposer des sorties non définitives avec les pass jour. Et on a aussi un camping qui est à 50 mètres de l’entrée du festival, avec parfois 5 000 à 6 000 campeurs. Il y règne une ambiance de dingue sur les campings. Tu peux rentrer et sortir, boire un verre. Les premières terrasses de café sont à 200 mètres. On est dans le bocage ornais, dans un cadre fabuleux. Et puis, il y a les bénévoles. Ils posent leurs vacances exprès pour venir. On ne fait quasiment pas de recrutement : ce sont les chefs d’équipe qui ramènent leurs potes, leurs familles…tout le monde se connaît. Ça crée une ambiance de feu. L’accueil est vraiment reconnu ici. Et notre public, en face, est hyper respectueux, hyper bienveillant. C’est que des bébés chats, quoi ! Et en même temps, t’as l’ADN punk rock qui revient. Quand t’es devant la scène chez nous, c’est le feu.

AAS : Et si tu devais résumer l’esprit d’Art Sonic en trois mots pour donner envie de venir, tu dirais quoi ?

XAVIER : Le partage, ça résume plein de choses. Le partage du clacos du coin, le partage avec tes potes, la musique, la bouffe, l’apéro au camping… Le cadre : la fierté de faire ce festival chez nous, en campagne. On arrive malgré tout, à faire venir du monde à Briouze… Je ne sais pas si les gens se rendent compte de l’effort que ça représente de faire venir autant de monde, ici, au milieu de l’Orne où il ne se passe pas grand-chose le reste de l’année. La population est multipliée par 15 le temps d’un week-end. Et enfin la fête : on fait tout ça pour ça, pour avoir ce lien social. C’est des mini-vacances, un rendez-vous qu’on attend tous.

AAS : Le public a-t-il changé selon toi ces dernières années ? Et comment ça se ressent dans la programmation ?

XAVIER : Je pense que c’est la musique qui a changé. La manière de consommer la musique aussi, entre les plateformes, les streams, les formats… Mais je ne crois pas que la typologie du public festivalier ait changé. Si on faisait une photo du public Art Sonic il y a 20 ans, et aujourd’hui, je pense qu’en proportion, on aurait toujours autant de 15-25 ans. Ce qui a changé, en fait… c’est nous. Les critiques sur la techno ou dans le rap ça reste pareil aujourd’hui, c’est exactement ce que j’entendais  sur le rock  ou le punk à l’époque.  Et dans chaque style, il y a toujours eu de tout. Il y a celui qui écrit ses textes avec poésie, celui qui hurle dans le micro, celui qui bosse sa mélodie… C’était vrai dans le rock, dans le punk, dans le rap et ça reste pareil aujourd’hui. La seule vraie évolution, c’est que la musique s’est un peu décalée dans ses formes, ses usages. Ce sont les formats qui changent, mais pas les jeunes.

AAS : Et pour finir… Si tu avais trois artistes à suivre, à nous conseiller dans cette programmation, ce seraient lesquels ?

XAVIER : Furies, pour une raison très personnelle : je connais bien la batteuse, Zaza, depuis une trentaine d’années, et ce projet, je l’adore. On est sur du métal, hard rock, 90–2000, c’est hyper bien bossé, hyper mélodique. Ça joue, ça chante. La nouvelle chanteuse, Cheyenne est dingue. Au Hellfest, ils ont mis le feu. C’est un groupe qui prend de l’ampleur, à fond.

Madam, c’est un vrai coup de cœur. Elles avaient ouvert pour les 25 ans du festival en 2022, comme Furies cette année. Une gifle. Elles vont tout brûler. Ça va être super.

Laze et Saku Sahara vont jouer en B2B. Elles ont fait les Nuits Sonores récemment. C’est un mélange de techno, de drum’ n bass… Elles ont l’habitude de jouer ensemble, et elles gèrent çà super bien. Ça va être un super closing pour le premier soir, je pense que ça va vraiment marquer.

RETROUVEZ L’ENSEMBLE DE LA PROGRAMMATION SUR : ART SONIC 2025

Partager

error: Ce contenu est protégé