MASSY (91) / CASTRES (81)
Du 29 octobre au 1 novembre 2025, le Festival des Primeurs revient à Massy et à Castres pour célébrer, comme chaque année, la vitalité des premiers albums. Deux festivals jumeaux, deux scènes complices Paul B à Massy et Lo Bolegason à Castres, un même esprit : celui de la découverte, de la curiosité, et de la liberté artistique.
Nous avons retrouvé FRANÇOIS BEAUDENON, directeur et programmateur de Paul B, et OLIVIER NICAISE directeur et programmateur de Lo Bolegason. L’an dernier déjà, ils partageaient avec Artiste à Suivre leur conviction qu’un premier album reste un geste essentiel, un moment fondateur dans le parcours d’un artiste. Cette année encore, ils confirment que l’émergence n’a rien perdu de sa force ni de son sens. Entre convictions et coups de cœur, les deux programmateurs nous ouvrent les coulisses d’un festival où l’instinct reste roi et où la curiosité n’a jamais cessé d’être une valeur sûre.


AAS : Depuis 1998, vous défendez les premiers albums et les artistes émergents. Est-ce que, d’une certaine manière, vous avez l’impression d’avoir bâti un modèle qui a mieux résisté que d’autres à la crise actuelle du secteur musical?
FRANÇOIS : C’est à la fois une bonne question et un bon constat. Même si ce n’était pas forcément pensé comme ça à l’origine, c’était une très bonne idée de vouloir défendre les artistes à ce moment-là. Les contextes de production et de diffusion ont beaucoup évolué, et on a parfois cru que cette idée allait perdre de sa pertinence dans un environnement aussi mouvant. Mais pour l’instant, ce n’est pas le cas. Il me semble, et je pense qu’Olivier partagera ce constat, que même si les pratiques d’écoute et de découverte musicale changent, du côté des artistes comme de leur public, il existe encore ce passage obligé. Pas une contrainte, mais un moment important : celui où les artistes veulent marquer le début de leur carrière en rassemblant et en synthétisant ce qu’ils ont fait jusque-là. Ils aiment regrouper cela au sein d’un album, une œuvre plus complète, plus assumée, un geste artistique fort. Et parfois, on en est les premiers étonnés, parce qu’on voit de plus en plus de débuts de carrière construits autour de singles publiés au fil de l’eau, grâce à la facilité de mise en ligne et de diffusion.
On s’est d’ailleurs beaucoup interrogés sur la pertinence de la notion d’album. Pour l’instant, elle reste essentielle. Peut-être que dans dix ans, ce sera différent, mais aujourd’hui, elle garde tout son sens.

AAS : Plus de 27 ans après la création du festival, le mot “émergence” est toujours au cœur de votre projet. Est-ce qu’il a gardé le même sens pour vous, ou s’est-il transformé au fil du temps avec l’évolution de la scène, des publics et des modes de diffusion ?
OLIVIER : Il y a 27 ans, découvrir un artiste qui sortait son premier album sur scène n’avait sans doute pas le même sens aujourd’hui, où l’on reçoit chaque jour des tonnes de nouveautés dans nos playlists. La façon de découvrir les artistes a changé, c’est évident. Mais ce que provoque le live, cette énergie propre à la scène, reste unique. Ce n’est pas tout à fait la même chose, et il y a presque deux catégories d’artistes : ceux qui séduisent par le live et ceux qui émergent d’abord sur les réseaux. Parfois, c’est les deux, et c’est ce qu’on espère.
Aujourd’hui, tout commence souvent sur le web, mais l’exercice du live reste un passage décisif. C’est un peu le “drop” qu’il faut passer entre les deux poteaux. C’est d’ailleurs l’un des intérêts des Primeurs : on accorde une vraie attention aux artistes qu’on programme, et à ce qu’ils ont à dire sur scène. Tous les artistes présentés, on les a déjà vus en concert.
FRANÇOIS : Je pense que l’accompagnement de l’émergence est beaucoup plus partagé qu’il y a vingt sept ans. En France, beaucoup de salles de spectacle, notamment les SMACS, s’en sont emparées et travaillent dessus. Il existe des dispositifs d’accompagnement à l’émergence, à la fois nationaux et locaux. Et puis, il y a aussi des festivals, comme le MaMA notamment qui se sont construits autour de cette idée.






AAS : Cette année, on retrouve dans la programmation des artistes déjà identifiés, mais aussi des projets qu’on n’a pas forcément l’habitude de voir dans d’autres festivals, avec notamment une présence forte de sonorités venues d’ailleurs, des influences d’Afrique, de La Réunion ou issues de la scène métissée. Ce n’est pas nouveau aux Primeurs, mais c’est peut-être plus marqué cette année. Comment s’est faite cette sélection ? Est-ce qu’il y avait la volonté de rééquilibrer certaines représentations ou simplement une évidence artistique ?
FRANÇOIS : La singularité du projet des Primeurs, qui était vraiment un des seuls et des précurseurs il y a 28 ans, l’est beaucoup moins aujourd’hui. Mais je trouve qu’on a toujours un mot à dire, une sensibilité particulière. Cette diversité et cette ouverture à des sons très différents, cette capacité à être à la fois dans l’actualité, parce que c’est le propre du festival, et dans des esthétiques plus singulières, c’est ce qui fait notre identité.
Tu parlais de Colt tout à l’heure : pour moi, on est dans cette chanson pop qui flirte avec la variété, mais la belle variété. Cette dimension mainstream, on l’a toujours fait cohabiter avec des projets plus singuliers, qu’on retrouve rarement ailleurs dans les festivals de musiques actuelles.
Cette année, plusieurs projets viennent d’Afrique ou d’Afrique du Nord, avec des sonorités qui nous parlent beaucoup. Olivier, Louis, notre troisième programmateur et moi, sommes particulièrement sensibles à ces musiques-là. Et je t’avouerais que lorsqu’on faisait nos choix de programmation, il y avait presque une part de plaisir à le faire d’un point de vue presque politique. C’est un bien grand mot, mais dans cette atmosphère un peu pesante, la réalité de la musique, de la diversité et de la richesse artistique, elle, est aussi là, dans ces projets.
Je crois que c’est, par ailleurs, notre seule chance : la seule façon qu’on a d’exister et de continuer à défendre cette différence et cet attachement à la diversité. C’est une programmation qu’on retrouve peu ailleurs. Çela n’enlève rien au travail remarquable des autres festivals ou lieux, mais il y a une vraie spécificité des Primeurs. Je pense que c’est aussi ce qui explique l’attachement du public, des pros et des médias.
C’est un petit festival par la forme, mais avec une audience qui dépasse largement sa taille réelle. C’est grâce à ça qu’il faut continuer à cultiver cette singularité.
OLIVIER : Si on regarde la programmation des Primeurs à travers les années, je crois qu’il n’y a jamais eu une édition sans ce type de projets. C’est un peu dans notre ADN d’aller voir ce qui se passe au-delà des frontières, au-delà des mouvances un peu “bling bling”, sans être péjoratif, de ce qui fait des vues aujourd’hui. C’est ce qui nous intéresse.
Lagon Nwar, Kin’Gongolo Kiniata, entre autres, ça va être quelque chose. On va chercher ces énergies-là, elles sont essentielles à remettre dans un contexte. Ce qui est important aussi, c’est là où on se situe. On est très contents quand une artiste comme Zaho de Sagazan émerge et se retrouve dans la programmation. Mais l’un n’empêche pas l’autre. C’est ça le message : on peut être un festival à taille humaine sans chercher la tête d’affiche à tout prix.
Si un artiste devient tête d’affiche entre le moment où on le programme et le festival, tant mieux. Mais ce qu’on cherche avant tout, c’est la singularité des projets.






ARTISTEASUIVRE : Le concept de “premier album” a forcément changé avec le streaming et les nouvelles façons de se lancer. Est-ce qu’il garde encore le même sens qu’à vos débuts ? Qu’est-ce que ça représente pour vous, un premier album, en 2025 ?
FRANÇOIS : Je crois que c’est toujours une naissance, un moment fort dans l’affirmation d’une signature artistique. On voit des artistes comme toi, qu’on suit depuis leurs débuts, arriver à travers des singles, des EPs. Parfois, la signature est déjà là. Mais souvent, à travers ces formats courts, ils se cherchent encore, ils explorent. Et le moment où ils ressentent l’envie, le besoin, celui où ils se sentent prêts à réaliser un premier album, c’est une forme de déclaration : “ça y est, j’ai trouvé ma place, j’assume pleinement ce que je suis artistiquement.”
Ça ne veut pas dire qu’ils n’exploreront pas d’autres pistes ensuite, mais ils posent là un geste cohérent, une œuvre complète, qui marque une étape importante. Malgré l’évolution du secteur et des modes de production, je pense que pour les pros et les médias, on est peut-être un peu moins défricheurs qu’il y a 27 ans, parce qu’il y a davantage d’étapes avant l’album. Et puis la mise en visibilité est plus forte, à travers des lieux, des festivals ou les réseaux, qui permettent aujourd’hui de se faire connaître bien plus vite.
Souvent, les médias et les pros ont déjà repéré ces projets avant, donc ils ne les découvrent pas forcément sur le festival. Mais pour le public, ça reste souvent une première fois. C’est là qu’on se trompe parfois, nous les pros : on a tendance à dire “cet artiste est déjà repéré”, alors qu’il l’est surtout pour nous. Le public, lui, a encore besoin de le découvrir.
AAS : François parlait de la découverte du premier album comme un moment clé dans la carrière d’un artiste. Sur un territoire comme le tien Olivier, comment cette étape est-elle perçue par le public ? Est-ce qu’elle garde la même résonnance qu’à Paris ou ailleurs ?
OLIVIER : C’est d’autant plus vrai sur des territoires comme le sud du Tarn. À Castres, on est en plein territoire néo-rural. Avoir cette fenêtre des Primeurs à Castres, ce n’est pas tout à fait les mêmes réalités.
Des groupes comme Colt ou George Ka, qui commencent à buzzer un peu, ça marche bien à Paris, ça remplit une petite salle là-bas, mais sur un territoire comme le nôtre, l’audience est plus restreinte. Donc pour nous, le festival garde tout son sens. Et puis on remarque aussi que les groupes qui sortent leurs premiers albums aujourd’hui sont déjà très professionnels. Le secteur s’est énormément structuré en presque trente ans. Les artistes qui arrivent avec un premier album, repérés un peu au niveau national, ont déjà des attitudes et des prestations de pros. C’est beaucoup plus solide qu’il y a vingt-cinq ans, je trouve.



AAS : Le public de Massy comme de Castres est un public fidèle, curieux, souvent en avance. Comment a-t-il évolué au fil du temps ? Et selon vous, qu’est-ce qu’il vient chercher ici, qu’il ne trouve pas ailleurs ?
OLIVIER : Les gens qui viennent aux Primeurs ont une manière de vivre le festival différente de celle des gros événements. Et je crois que sur Castres, on a réussi à retrouver cet esprit-là. Le public s’implique différemment : il viennent en se disant “je vais découvrir quelque chose, il y aura forcément un ou deux artistes qui vont me marquer.” Et puis il y a cette convivialité : on boit un verre, on rencontre du monde, on échange. C’est ça aussi, l’esprit Primeurs.
FRANÇOIS : Je pense qu’on a construit, au fil du temps, un public curieux, attaché à une certaine vision de la musique et du festival. Ce qui ne les empêche pas, bien sûr, d’aller aussi dans de grands événements, voir de grosses têtes d’affiche. Mais ici, à Massy comme à Castres, ils trouvent autre chose : un lieu convivial, une programmation singulière, une vraie identité.
J’ai souvent l’impression qu’on fait ce festival pour ces gens-là, ceux qui ont cette ouverture d’esprit, ce côté un peu aventureux, à se dire “j’y vais et je tente ma chance.” Et souvent, vu la qualité de la programmation, c’est un risque mesuré.
AAS : Et pour finir, si vous deviez chacun citer trois artistes chacun de cette édition qui, selon vous, ont ce petit quelque chose, ceux qu’il faudra vraiment suivre dans les prochains mois ?
OLIVIER : OSCAR EMCH. C’est un peu notre gars du moment, à Toulouse. Il a le vent en poupe, il a travaillé avec des noms solides. Ça faisait un moment qu’on le guettait et qu’on attendait qu’il nous livre son premier album, c’est chose faite. Je pense que c’est quelqu’un qui va compter dans l’histoire de la musique, enfin, je l’espère.
FRANÇOIS : LAGON NWAR. C’est un projet magnifique, aussi bien discographiquement que scéniquement. Il est porté par un trio de musiciens de très haut niveau et par une chanteuse, Ann’ O’aro, incroyable. C’est une artiste qui me donne des frissons à chaque fois que je la vois sur scène. Le projet fait le pont entre la Réunion, l’Afrique de l’Ouest et la France, entre jazz et culture créole. C’est vraiment très beau, intense, et libre.
OLIVIER : BØL. C’est une fanfare actuelle de Toulouse, qui nous emmène là où on ne s’y attend pas forcément. On croit partir vers du jazz, et en fait, ça bascule ailleurs, un truc plus brut, plus sauvage. C’est toujours surprenant, et c’est ça qu’on aime.
FRANÇOIS : GILDAA. Elle fait vraiment partie des artistes à suivre. S’il fallait miser sur une carrière artistique, je parierais sur elle. Je ne sais pas si elle gardera ce projet musical, mais c’est une artiste complète : comédienne, musicienne, chanteuse, performeuse. Elle a plusieurs cordes à son arc, et sur scène, c’est une vraie rencontre. Elle a une capacité à aller chercher le public et à lui faire vivre un moment fort. Et en plus, c’est une excellente musicienne. Gildaa, c’est un vrai coup de cœur !
OLIVIER : JULII SHARP. Artiste toulousaine qu’on suit depuis longtemps. On était dans les starting-blocks pour la programmer sur les Primeurs. ll y a un lien particulier avec elle : pendant le Covid, alors que tout était à l’arrêt, on avait organisé des live sessions au LoBolegasson, et Julii était venue jouer en solo. C’était un moment fort, presque suspendu. Depuis, on la suit de près, et aujourd’hui,
elle nous livre enfin son premier album. C’est tout et son contraire : la douceur et l’énergie, le rock et la mélancolie. Elle peut passer d’une émotion à l’autre, et c’est ce qui fait sa force. C’est un peu notre PJ Harvey à nous !
FRANÇOIS : UZI FREYJA. Un projet singulier et une artiste hyper touchante. C’est un univers à la fois très énergique et de plus en plus sensible. Jusqu’à récemment, elle misait surtout sur la puissance, moins sur l’émotion. Mais en la voyant évoluer, j’ai trouvé qu’elle ouvrait davantage son registre : plus de nuances, plus de partage, et même des titres en français. C’est une artiste en pleine affirmation, à suivre de très près.






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