Interview
du mois

ASTEREOTYPIE

ASTEREOTYPIE est un collectif d’artistes né en 2010 au sein de l’institut médico-éducatif de Bourg-La-Reine. Le groupe composé de Stanislas, Claire, Yohann et Adrien atteints de troubles autistiques se sont produits sur la scène des Transmusicales de Rennes en décembre dernier. Rencontre avec Arthur B. Gilette (du groupe Moriarty) un des musiciens du collectif au lendemain de leur concert.

AAS : ASTEREOTYPIE était programmé aux Transmusicales hier soir. Nous n’avons pas lu la presse, nous n’avons pas eu de retour. Peux-tu nous dire comment ça s’est passé sur scène ?

ARTHUR : C’était un énorme capharnaüm, un vrai bazar, nous sommes huit sur scène. Il y a quatre chanteurs dont une chanteuse et quatre musiciens. Nous avons fait très vite, et nous n’avons pas eu le temps de faire les balances. Il y a eu pas mal de problèmes techniques pendant le concert. On a cassé trois amplis, un vrai groupe de rock ! C’était malgré tout un concert très libre, très inattendu. Il s’est passé plein de choses qui ne se passent pas d’ habitude. Les chanteurs ont le trouble du spectre autistique donc il faut cadrer les choses. Et là, dès le premier morceau un ampli a cassé, un des chanteurs a commencé à être très angoissé, j’ai dû le calmer.

AAS : Peux-tu nous expliquer le projet ?

ARTHUR : Ce projet est né d’un atelier de poésie dans un institut médico-éducatif avec des personnes en situation d’autisme. C’est devenu un groupe de musique d’abord, un groupe de rock par la suite, il y a 10 ans déjà. Nous avons commencé à faire des concerts il y a environ 6 ans, et aujourd’hui on se produit dans des salles de plus en plus grandes. Notre volonté était de faire un vrai groupe de rock où le handicap n’est pas une question mais une composante du projet. Les chanteurs et la chanteuse écrivent les textes, nous faisons la musique. Les textes sont à la fois drôles, sensibles, poétiques, et peuvent entrer sérieusement dans l’histoire de la littérature : c’est du surréalisme. N´importe quel groupe français envie ces textes qui sont la fois d’une singularité extrême et d’une universalité totale. Les gens s’identifient. Par exemple le titre de l’album c’est Claire Ottaway qui l’a écrit. La chanson s’appelle Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme. Comment écrire une chanson plus forte avec un titre comme ça ?

AAS : Comment accompagnez- vous en musique ces artistes qui écrivent les textes ?

ARTHUR : Il n’y a pas vraiment de règles. Tout dépend des envies des chanteurs et de Claire la chanteuse. En général, ils écrivent les textes plutôt avant, puis ils nous les envoient sous différentes formes. Par exemple en ce moment je reçois des textes de l’un des chanteurs, Stanislas. Il me les envoie par textos en vieux français, c’est son truc. Ensuite, on fait la musique, on va leur proposer et voir comment ils vont mettre le texte dessus. Quand je dis chanteur, c’est plus des paroles lancées à toute vitesse avec une force et une véhémence, il n’y a pas beaucoup de mélodies.

©Chloé Rafat

AAS : J’ai eu l’occasion de les voir à La Cigale en octobre dernier. J’ai vu leur incroyable façon de scander les textes, c’est une vraie performance. Comment est venue cette façon de chanter ?

ARTHUR : Je ne sais pas pourquoi c’est venu comme ça. C’est quelque chose qui nous rapproche. Moi aussi je travaille beaucoup à l’intuition. Ce sont des choses qu’on essaie de ne pas du tout théoriser et je crois que c’est cet aspect brut qui touche le public. Hier il y avait 3000 personnes, c’était de la folie. C’était chaotique sur scène et en même temps le public était complètement dans le concert et chantait avec nous. Parfois on est huit à chanter en même temps, les mêmes paroles, comme « du kayak à Saint-Briac, du vélo à Saint-Malo », « je veux, je dois être un pacha » ou « la terre n’était que boule de feu ». Ce sont des sortes de punchlines incroyables !

Et pourquoi ils ne les chantent pas plus avec des mélodies ? Peut-être que c’est tout simplement une limitation technique ou alors c’est aussi un choix. Une façon d’approcher les choses plus simplement peut-être. Les chanteurs ou musiciens peuvent avoir tendance à s’écouter un peu, trop peut-être. Alors qu’eux ce n’est pas du tout le cas, parce que comme ils souffrent du trouble du spectre autistique, ils ne vont pas forcément en avoir conscience. Ils s’en fichent un peu de ce que reçoit le public. S’ils ont envie de dire quelque chose, ils le disent, ils ne réfléchissent pas à ce que vont penser les gens. Mais parfois Claire par exemple peut commencer à chanter à sa manière, et j’adore sa façon de chanter. Mais si on regarde les choses de façon normées, elle chante assez faux, mais pour moi ce faux- là est beau.

AAS : Où en êtes-vous dans vos projets ? Avez-vous prévu d’autres concerts ?

ARTHUR : Nous avons encore beaucoup de concerts ! Les chanteurs et Claire vivent en famille ou dans des structures d’accueil. L’idée c’est de ne pas en faire à plein temps. On a limité à 20, 25 concerts par an. Mais ce qui est sûr c’est qu’on n’a pas attendu Les Transmusicales pour faire des concerts. Je pense qu’ il y aura un public de plus en plus présent. Quand on découvre ce groupe, on a envie de partager avec nos amis. C’est une vraie traînée de poudre. Les médias prennent toujours un peu du temps pour découvrir les choses, et là ils ont entendu, ils veulent partager cette émotion qu’ils ressentent.

AAS : Qu’est ce qu’ on peut souhaiter au collectif ?

ARTHUR : On peut souhaiter que d’autres groupes voient le jour avec des formats hybrides comme le nôtre. Il y a un certain désir de juste faire de la musique sans avoir de pensées commerciales, stratégiques ou de communication. On n’a pas fait de création lumières, on fait juste de la musique. On a enregistré dans un petit studio dans le fin fond du Finistère avec trois francs six sous, près de l’océan dans un hangar. J’espère que d’autres groupes vont s’inspirer de notre expérience et développer l’inclusion des personnes en situation de
handicap. Ça fait vraiment du bien et on sent que le public a besoin de ces choses qui ne sont pas normées, pas réfléchies à l’avance.

On retrouvera le Collectif Astéréotypie au Festival Art Rock samedi 27 mai 2023 (Scène B)

Partager

error: Ce contenu est protégé