Vendredi soir 27 juin 2025, 19h. On arrive devant le Ground Control, fatiguées de notre semaine et de la chaleur de Paris, sans trop savoir ce qui nous attend dans cette 4ème (mais première pour nous) édition du festival Colis Suspect.
Depuis 2021, ce projet imaginé par l’association Futur Composé investit un lieu parisien pour valoriser la création de personnes atteintes de troubles du spectre autistique (TSA).
Tout commence quelques mois plus tôt, par l’envoi d’un colis mystère — cette année, une pierre, une feuille, un ciseau — à plus de cinquante établissements accueillant des personnes avec des TSA. De ce geste sont nées des œuvres d’art, des créations scéniques à contre-courant, des collaborations entre artistes reconnu·e·s et talents trop souvent relégué·e·s à la marge.
Des rencontres singulières, libres et indociles, où l’art brut s’invite au cœur de dispositifs exigeants, bousculant les formats traditionnels et ouvrant un champ de création sans limites. Le tout porté cette année par un jury présidé par le comédien Mathieu Amalric et composé à la fois d’acteur·ice·s du monde de la culture et de professionnel·le·s du médico-social.

Vendredi 27 juin, 20h.
D’abord il y a l’expo. Des œuvres inspirées, tout simplement, d’une pierre, d’une feuille, et d’un ciseau. Trois objets d’enfance, trois éléments qui activent des mondes. Et ce qu’on voit là, sur les murs, c’est une explosion de formes, de couleurs et d’émotions. Toutes plus uniques les unes que les autres. Mais aucune naïve. Ce qu’on se prend en pleine face, c’est de l’art vrai, intense et viscéral. Ce sont des relectures sensibles, poétiques, parfois conceptuelles, parfois comiques et parfois douloureuses, du jeu — ce geste d’enfant qu’on rêve de retrouver, et dont on oublie trop souvent la puissance fédératrice. Un jeu où tout le monde peut entrer, sans prérequis ou norme imposée. Et c’est exactement ce que ce festival tente – et réussit – à faire : créer du lien autour d’un terrain de jeu commun.
Cette plateforme commune offerte par Colis Suspect, c’est aussi une fiévreuse scène musicale.
Après l’expo, place à RON-PON, puis aux Psychotic Monks, accompagné·e·s d’Étienne au clavier, de Markus à la batterie, d’Enkhjin au yatga (harpe mongole) et de Jean au chant – tous issus d’institutions spécialisées dans les TSA. Mais ils n’étaient pas “invités”, encore moins “intégrés” : ils étaient, comme il se doit, au centre de la tempête, acteurs complets d’une création inédite, pensée avec eux, pour ce set dont on n’est pas prêt·e·s de se remettre.
Sous nos oreilles comblées et nos nuques abîmées, cette atypique collaboration s’est ainsi dévoilée à nous, après le vibrant théâtre musical de RON-PON (dont le chanteur Thierry s’est également joint à la partie). Deux moments de pur chaos sonore comme on les aime, qui nous ont fait danser comme si personne ne nous regardait et crier “MERDEEEEEE” à tout(/s) ce(ux) qui nous emmerde(nt).

Difficile de faire plus fort. Et pourtant, le lendemain, on y retourne.
Samedi 28 juin. L’ambiance est différente cette-fois, mais tout aussi belle.
Le quintette formé par Enkhjin, Loïsia, Yolanda, Jean et Ethan — alias le groupe Méribel, né au sein de l’incubateur artistique de l’IME Alternance Bourg-la-Reine (aujourd’hui Maison Perce-Neige) — ouvre le bal avec sa pop-soul-zouk inclassable, décalée et bluffante.
Puis vient un duo inattendu : Bonnie Banane et Ethan Offiong (du groupe Méribel), dans un échange de voix, de regards et de souffles. À deux, puis en solo, ils nous ensorcellent. Ethan chante deux morceaux en a cappella. Ce n’est pas un “moment mignon” ni “inspirant”, c’est une performance – témoignant de l’exigence artistique qui traverse toute la programmation du festival. Le tout porté par les notes envoûtantes de Joseph Schiano Di Lombo, compositeur et pianiste céleste avec qui Bonnie a récemment sorti L’Orguasme, un album expérimental chantant, à l’orgue, l’art d’atteindre le septième ciel.
Et ces deux soirs, c’était exactement ça : une extase, tant artistique qu’humaine. Une célébration du collectif et de ce qui le lie depuis toujours : la musique, la poésie et l’empathie.
On n’a assisté qu’à deux soirées sur trois, mais une chose est sûre : Colis Suspect, ce n’est pas juste un festival.
C’est un manifeste joyeux et radical. Le genre de fête profondément politique dont on a tant besoin en ce moment, qui nous font taper du pied, hurler notre rage de vivre et sourire à des inconnu·e·s qui, dans le fond, ne l’ont jamais vraiment été.
Et même un endroit où tu peux perdre ton téléphone, pris·e par ce magnifique boucan, ne même pas t’en rendre compte avant la fin des concerts et le retrouver deux heures plus tard aux objets trouvés (histoire vraie)...
