Interview
du mois

EESAH YASUKE

L’écriture : un refuge. Le rap : son exutoire. Eesah Yasuke, quelques lettres pour une plume abrupte et sincère. De Roubaix (quartier des 3 ponts) à Lille, Eesah (prononcer [iça]) a un parcours qu’elle ne cache pas. Du moins, dont elle ne se cache plus… Placée en foyer à l’adolescence, sa catharsis se réalise alors par les livres et l’écriture. Rencontre avec l’artiste quelques heures avant de monter sur la scène de Bonjour-Minuit à Saint-Brieuc samedi 26 novembre 2022.

AAS : Bonjour, peux-tu te présenter pour celles et ceux qui ne te connaissent pas ?

EESAH YASUKE : Je suis Eesah Yasuke, je suis artiste. J’ai sorti mon premier projet qui s’intitule Cadavre exquis, un EP de 8 titres qui est sorti le 11 juin 2021 et depuis nous sommes en tournée depuis le début de l’année : on a enchainé avec pas mal de dates, nous en sommes déjà à plus de 50.

AAS : Tu as remporté Rappeuses en Liberté, le Buzz Booster, le Prix du Printemps de Bourges et depuis tu enchaines les dates, comment vis-tu tout ça ?

EESAH YASUKE : C’est une nouvelle vie, c’est un rythme très effréné et je ne regrette pas d’avoir fait beaucoup de sport parce que ça m’aide beaucoup. C’est vraiment un atout d’être sportive dans cette tournée qui est hyper cardio. Il y a de la prépa physique, et ça fait partie de mes rituels, avec la méditation ce genre de choses et ça me porte beaucoup. Evidemment je n’en fais pas à grande échelle comme à l’époque mais ça reste quand même très présent dans ma vie.

AAS : TRIPTIK, ton dernier projet comment l’as-tu pensé ?

EESAH YASUKE : Je voulais de la cohérence, c’est un concept en fait que chaque morceau se suive. J’avais envie qu’il y ait une complémentarité et en même temps qu’on découvre une autre facette de ma palette artistique et c’est comme ça que ça s’est dévoilé dans TRIPTIK.

AAS : Par rapport à tes titres, les textes sont très travaillés, rien n’est laissé au hasard, il y a une forme de précision, n’est pas ?

EESAH YASUKE : C’est vrai que je suis très méticuleuse, c’est important pour moi que lorsque j’écris, quand je rappe – car je rappe beaucoup à la maison a cappella – je fais toujours en sorte que ça sonne sans la prod, sans rien, sans la musique. De manière à ce que ça soit vraiment mélodieux, musical même s’il n’y a rien autour, c’est important pour moi. Effectivement je mets beaucoup de rigueur dans mon écriture.

AAS : Parmi les thèmes de tes chansons, le racisme est prépondérant mais est-ce qu’il y en a qui t’inspirent un peu plus que d’autres ?

EESAH YASUKE : Ce qui m’inspire c’est le parcours des autres, ça peut être le mien, je m’inspire beaucoup de ce que j’ai pu vivre en termes d’adversité. Le thème de la résilience, de l’introspection reviennent souvent. Le racisme forcément, je parle de ce que je vis, de ce que j’observe tout simplement, c’est assez naturel. En tout cas, mon écriture née toujours d’un besoin, je ne me dis jamais que je dois écrire, je me dis que j’ai besoin d’écrire. Ça me fait penser au projet de BB Jacques qui s’appelle Poésie d’une pulsion, je me reconnais là dedans parce que quand j’écris c’est pulsionnel, c’est parce qu’à ce moment-là j’en ai besoin.

Crossroads Festival 2021 // Roubaix // 09.09.21 ©David Tabary

AAS : Comment composes-tu ? Où cherches tu l’inspiration, comment vient-elle cette écriture ?

EESAH YASUKE : Ça dépend, des fois je vais vivre ou observer une situation qui va déclencher l’écriture, des fois c’est les compositions que l’on peut m’envoyer qui peuvent susciter une émotion et un thème va découler. Les processus créatifs sont divers car je suis très proche de la poésie – j’écris toujours des poèmes d’ailleurs – et des fois mes textes, mes chansons sont tirées de mes poèmes. En ce moment je travaille beaucoup en écriture automatique où c’est vraiment de la poésie. Après, soit je le laisse comme ça et j’en fais un recueil de poèmes, soit je les retravaille pour que cela devienne des chansons.

AAS : Le rap féminin, on en parle ? Il y a de plus en plus de femmes qui font du rap et tant mieux. Tu en penses quoi de l’évolution de la femme dans ce milieu qui est à la base très masculin ?

EESAH YASUKE : Je ne me dis pas qu’il y a du rap féminin. Pour moi le rap est non genré. En fait, il y a beaucoup de rappeuses mais elles ne sont pas mises en lumière. Mais j’ai l’impression qu’il y a des choses qui changent, on recherche de plus en plus à mettre des rappeuses en avant, c’est un peu à l’image de la société, beaucoup d’idéaux, des manières de penser se réorganisent et ça découle dans le rap et dans plein d’autres sphères.

AAS : Bien sûr, on ne veut pas mettre ces artistes dans des cases, mais pourtant il y a le dispositif Rappeuses en Liberté, et tu y as participé, c’est pour cela que je parle de rap féminin. 

EESAH YASUKE : Oui, je comprends. J’ai fait Rappeuses en Liberté mais j’étais surtout intéressée par la qualité du jury. Il y avait Leïla Sy une grande réalisatrice qui a bossé avec Kery James sur beaucoup de projets, ça me parlait. Il y avait aussi l’ex-manageuse de Diam’s. J’ai beaucoup de respect pour ces personnes-là, et c’est ça qui m’a attirée. En fait, je ne me suis jamais posé la question si oui ou non j’avais ma place – en termes de genre en tout cas – ça ne veut pas dire que je ne n’ai pas conscience de la complexité parce que j’ai des potes rappeuses qui m’expliquent certaines situations dans lesquelles elles se retrouvent et c’est réel. Mais je ne me pose pas cette question, je fais et c’est tout.

AAS : Est-ce qu’il y a des artistes avec qui tu souhaiterais collaborer ?

EESAH YASUKE : Rapsody, une rappeuse américaine incroyable. Kendrick Lamar, ce serait fou ! Et puis Nekfeu, parce que c’est un artiste que je respecte beaucoup pour sa plume et pour les valeurs qu’il porte car j’ai les mêmes que lui et le fond qu’il ajoute à la forme ça me parle.

AAS : Tes projets à venir ? J’ai cru comprendre que tu voulais t’orienter vers un son un peu plus rock ?

EESAH YASUKE : Pas tout à fait non. Dans le TRIPTIK, avec NGR, il y a déjà une pointe de rock dans le solo batterie-guitare parce que ça fait partie de mes influences. J’ai grandi avec les Red Hot, avec System Of A Down, Muse, etc. C’est juste que j’ai plus envie d’assumer mes influences diverses. Ça ne veut pas dire que je vais être plus rock, ça restera rap. Mon EP Cadavre exquis c’était un premier jet, et là j’ai envie d’aller encore plus loin, d’assumer encore plus d’influences parce que j’ai aussi grandi avec la rumba congolaise, avec plein d’influences différentes, et j’ai donc envie de les mettre à l’honneur.

AAS : Ça sera un album alors ?

EESAH YASUKE : Je peux déjà dire qu’il y a un single qui s’appelle Drive, qui va sortir en décembre, je n’ai pas encore annoncé la date et il va découler sur un EP en début d’année.

AAS : Tu vas te produire sur scène avec Médine dans quelques heures, est-ce que tu as un rituel avant de monter sur scène ?

EESAH YASUKE : C’est toujours important de boire une infusion gingembre-citron-miel, ça c’est la base. Ensuite on fait des pompes, on s’échauffe physiquement et puis après il y a du recueillement, un moment spirituel.

AAS : Un ou une ARTISTEASUIVRE ?

EESAH YASUKE : Je dirai Lylice, c’est une rappeuse qui me parle beaucoup, qui a une plume incroyable. Je pense aussi à Tuerie un rappeur extraordinaire.

Eesah Yasuke- NGR (prod.Waxy) (clip officiel) 3/3 #triptik

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