LOUISADONNA

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LOUISADONNA – PARASITE

Cela fait un moment que l’on suit Louisadonna. Aujourd’hui, on la rencontre enfin. Après avoir sorti deux EPs Fatigue en 2021, puis Punchline en 2023, elle revient avec Parasite, son premier album. Un projet beaucoup plus personnel, plus politique aussi, dans lequel elle explore des choses intimes, parfois violentes, mais toujours avec une grande clarté. Treize titres nés d’un trop-plein de colère, d’injustice, de questions aussi… On a pris le temps, à Paris,  avec Louisadonna pour revenir sur ce qu’elle y met, sur ses choix et sur ce qu’elle espère provoquer avec ce projet.

AAS : Bonjour Louisadonna, tu es psychologue, militante, féministe. Tu as grandi à la campagne, loin des tumultes des grandes villes. C’est la première fois qu’on se rencontre. Comment te décrirais-tu aujourd’hui ? Est-ce que tu te considères comme une artiste politique ? Ou comme une femme qui a dû créer pour survivre ?

LOUISADONNA : Bonjour Yasmina. Je pense qu’en tant qu’artiste, on occupe forcément un endroit politique. Revendiquer une forme d’apolitisme, pour moi, c’est une manière de collaborer avec un système qui dysfonctionne. Quand on prend la parole en tant qu’artiste, quand on monte sur scène, ce qu’on dit relève déjà du politique. Parce qu’on met de l’intime dans l’espace public. Et forcément, ça devient politique. Si on parle juste de ce qu’on a mangé au petit déjeuner, ce n’est pas très intéressant.

AAS : Tu dis que Parasite est né d’une gestation lente et douloureuse. Tu y parles de colère, des puissants, des hommes fous, de psychiatrie, de ce qui grignote. Est-ce que ce disque t’a aidée à ne pas devenir folle (folle au sens où la société qualifie parfois les femmes qui dénoncent) ? Ou est-ce qu’il t’a tout simplement transformée ?

LOUISADONNA : J’ai essayé de mettre dans cet album tout ce qui existe en moi depuis toujours. Notamment cette question de la folie.Je me débats avec ça depuis l’enfance. J’ai eu des troubles psy très jeune. J’ai fait des études de psycho, je suis devenue psychologue. J’ai appris ce qu’était l’hystérie, ce que la psychiatrie en dit, et surtout ce que les hommes ont construit autour de ça. L’hystérie, c’est quelque chose qui naît au XIXe siècle, un outil pour enfermer les femmes. C’est là qu’on voit comment la médecine peut devenir un espace politique d’enfermement des corps. J’ai fait des stages dans des hôpitaux psychiatriques très renommés, et j’ai vu comment étaient traitées certaines femmes. Des patientes qui dénonçaient des viols ou de l’inceste, et à qui on répondait : “Elle est délirante, donc c’est faux.”

En parallèle, je me suis spécialisée dans l’accompagnement des femmes victimes de violences. J’ai grandi entourée de proches qui avaient subi ces violences. Pour moi, ce n’était pas un mythe, pas une fiction. Et pourtant, je voyais à quel point la société refusait de le reconnaître, le minimisait. Ça m’interrogeait énormément, notamment sur la folie. Ça m’a vraiment remuée, en faisant mes études, en grandissant dans cette société. J’ai écrit une chanson sur Babe qui était quelqu’un de près proche quand j’étais petite qui s’est suicidée quand j’avais 10 ans. Elle a vécu des violences qui n’ont pas pu être entendues, ni soignées par la psychiatrie. Elle a été hospitalisée très longtemps. Dans cette chanson je parle du fait que je suis partie travailler dans le même hôpital où elle avait été hospitalisée. Ce qui est quand même fort, c’est que c’est la Pitié-Salpêtrière, là où le concept de l’hystérie a été inventé. Toutes ces choses-là, ça m’a traversé, ça m’a énormément questionnée. Sur la manière dont on hystérise les femmes, et comment la psychiatrie participe, encore aujourd’hui, à leur invisibilisation dans un système patriarcal.

Des femmes qui disent avoir été victimes, sont simplement qualifiées de folles. C’est plus simple. On le voit quand on suit des cas d’inceste, la femme qui dénonce est souvent qualifiée de « folle de service ». Ou bien on dit « c’est la folle qui s’est fait violée ». Ou encore c’est la folle du village » … C’est une façon de faire taire les femmes. De psychiatriser leur parole. Parce que c’est plus simple.

Aujourd’hui on a des études qui nous permettent de faire la différence psychose et psycho traumatisme. Sauf que ce n’est toujours pas su, même par certains psychiatres. On a un vrai problème systémique. Un exemple concret auquel je suis confrontée en tant que psychologue : certains psychiatres ne savent pas qu’un traumatisme peut provoquer des hallucinations. Alors, ils diagnostiquent directement une psychose ou une schizophrénie. Alors qu’en réalité, ça peut être liée à de la mémoire traumatique.  

Tu me lances sur un sujet sur lesquels je pourrais parler pendant quatre heures (rires).

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AAS : Tu as cette phrase : « Notre colère, c’est notre boussole ». Est-ce que cette colère, aujourd’hui, tu la maîtrises ? Ou est-ce qu’elle déborde encore parfois ?

LOUISADONNA : (Rires) Je ne pense pas que je la maîtrise. C’est un peu le principe de l’album, c’est un paradigme ou un parasite. C’est petit être qui me contrôle à l’intérieur et avec qui je suis un peu forcée de cohabiter malgré moi, donc je pense que non, malheureusement je ne la maîtrise pas toujours (rires). Effectivement, c’est une boussole, parce que dans une société qui passe beaucoup de temps à dire que nos émotions ne servent à rien, ce sont quand même elles qui sont censées nous guider. Ce sont des boussoles internes, qui sont là pour nous dire : « là, notre environnement de ne nous convient pas, donc on a besoin de changement.  C’est sûr que si on vit dans une société où il y a beaucoup d’injustices, beaucoup d’inégalités, des guerres. Des choses insupportables de tous les côtés…Encore heureux qu’on est en colère. C’est un signe qu’on n’est pas d’accord, et qu’on résiste à quelque chose.

AAS : Tu dénonces les coupables, tu écoutes les victimes. En tant que psychologue tu entends des choses très dures, j’imagine. Est-ce que ton métier t’aide à écrire ou est-ce que tu écris pour faire sortir ce que ton corps ne peut pas contenir ?

LOUISADONNA : Je pense qu’il doit y avoir une vérité là-dedans de ce que tu dis, même si je ne le conscientise pas forcément. Ç’est une forme de sublimation, de choses un peu insupportables, qu’on vit au quotidien. Je travaille avec une équipe extraordinaire, mais on voit des choses très dures chaque jour. Des jeunes femmes, victimes de violences intrafamiliales, de l’inceste, des mariages forcés, des excisions. On est confronté à des choses qui ne devraient pas exister. D’abord par les violences qu’elles subissent dans un premier temps, puis par les violences institutionnelles, ce qui est encore plus difficile. On est dans une forme d’impuissance, en tant que soignante. C’est une forme de thérapie, pour moi, de pouvoir dire quelque chose de tout ça l’extérieur, que ça ne reste pas juste un truc que je garde avec moi, et avec lequel je me couche le soir.

AAS :  Dans un monde qui cherche à adoucir les choses, tu vas droit dedans. Ton album est une ode à la rage, au refus, mais aussi à la lucidité. Crois-tu que cet album puisse faire bouger les lignes ? Ou qu’il doit juste exister pour celles et ceux qui ont besoin d’entendre ça ?

LOUISADONNA : Franchement, je ne sais pas. J’écris parce que c’est nécessaire pour moi. Ce qui me touche, ce qui me fait plaisir c’est de voir que parfois, des gens prennent conscience de choses en l’écoutant et ça c’est chouette. Mais il y a aussi plein de gens qui me disent merci, que ça leur fait du bien de danser sur une chanson qui parle des ultras riches. Ce qui fait tenir, au quotidien, avec la colère, c’est qu’il y a aussi des choses douces et belles dans la vie. Il y a une chanson qui s’appelle Viens qui parle de l’amour, parce que j’ai la chance d’être amoureuse et d’être dans une relation que je trouve super chouette, épanouissante, et qui me fait tenir au quotidien. Il y a aussi la sororité qu’on a entre militantes, entre victimes, entre personnes qui ont subi des choses, ou qui ouvrent les yeux petit à petit avec Petite fille, par exemple.  C’est quelque chose d’hyper beau, et de très important. Ce qui me faire tenir au quotidien, c’est d’avoir aussi une bande d’ami.es ultra woke comme moi (rires), qui ont juste envies d’embraser le monde avec moi. Quand on va faire des diners, c’est parce qu’on a des idées, qu’on veut lancer, des projets qui nous parlent et qui ont pour but de faire bouger les lignes

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AAS : Tu parles beaucoup des femmes, de leur mise à l’écart, du fait qu’elles dérangent. Est-ce que tu as l’impression qu’on commence à t’écouler différemment aujourd’hui ? Ou que même en musique, les femmes doivent encore justifier leur colère ?

LOUISADONNA : Les deux sont vrais, tu vois. J’ai la malchance d’avoir ressenti ça comme des milliards de femmes, qu’effectivement en tant que femme ma parole valait moins. J’en parle dans Pourquoi. Pourquoi est-ce que moi quand je parle ce n’est pas aussi important que quand un homme parle ? Pourquoi, quand quinze femmes accusent un homme et que lui dit qu’il est innocent, on l’entend davantage, et parfois on le retrouve même sur un plateau télé. Et pourquoi quand on interroge des personnes « sachantes », des spécialistes, on interroge encore majoritairement des hommes. Et pourquoi toujours, nos paroles de femmes sont moins importantes ? Je l’ai vécu à 200% vraiment. Et en plus, je viens d’une famille de trois frères, donc ce n’était pas facile. C’est vrai qu’il y a un changement que je vis personnellement, parce que je suis un peu écoutée maintenant, parce que j’ai cette place un minimum reconnue dans ce que je fais artistiquement. C’est une chance extraordinaire de sentir que de ce côté-là ça bouge un peu, que ma parole commence à être entendue. Mais ça n’empêche pas que je suis une artiste indé, je me bats bec et ongles avec mes moyens. Je suis en autoproduction, je finance tout toute seule. Et je vois bien que si mon discours n’était pas aussi politique, si je ne parlais pas de ma queerness, de ma bisexualité, je pense que ça se passerait plus facilement. Cela dit, il y a des choses chouettes qui se passe aujourd’hui, avec Marguerite, par exemple qui a sorti Je préfère les filles, ou Suzanne avec Je t’accuse.  Tu te dis : ok, on y arrive. Mais on voit bien que ça a pris un temps fou, une énergie énorme, des moyens. Et si dès le départ, dans l’histoire de la musique les tubes avaient pu parler de ce qui touche vraiment tout le monde, eh bien on aurait forcément parlé de violences sexuelles.

AAS : Dans Vieille meuf, tu parles d’une rupture, mais aussi de la pureté militante, de ces injonctions contradictoires dans certains milieux, de ce qu’on attend des personnes engagées. Que voulais-tu exprimer dans ce morceau ? Est-ce que tu penses qu’on finit parfois par se tirer une balle dans le pied entre alliées, alors qu’il y a déjà pas mal d’obstacles extérieurs ?

 LOUISADONNA : Clairement. J’ai une amie militante qui m’a dit qu’elle ne pouvait plus être mon amie, parce qu’elle considérait que je militais mal. C’est une personne que j’aime énormément et que j’admire toujours autant. Ça a été super douloureux pour moi. Quand ça vientde personnes qui partage la cause, c’est toujours violent mais quand ça vient d’une personne qui est proche et qu’on aime, c’est encore plus douloureux. Et sinon j’ai un peu tiré ce fil-là pour parler de façon générale de la pureté militante, car qu’est-on à se foutre des balles dans le pied systématiquement, alors qu’on a Darmanin ministre de la Justice, qu’est-ce qu’on fout ? On aurait beaucoup de choses sur lesquelles on serait très d’accord, sur lesquelles on pourrait mettre beaucoup de temps et d’énergie. Il y a beaucoup de sociologues qui ont démontré qu’effectivement que les raisons pour lesquelles les gens avaient tendance à se mettre des balles dans le pied, c’était qu’au moins ça fonctionnait. C’est un peu plus difficile d’aller faire en sorte que Darmanin ne soit plus ministre de la justice plutôt que de dire « Ah toi tu as mal fait » « t’as mal milité ».

Déjà le temps, l’énergie de toutes ces personnes bénévoles qui font des choses au quotidien et elles le font mal ?? Mais c’est super de mal faire, et c’est super d’être naïfs, et c’est super de ne pas savoir comment faut faire. Parce qu’en fait si on attend que tous les militants soient parfaits, mais personne ne va militer, personne ne va vouloir le faire ! Et c’est terrible en fait, parce là on a énormément de boulot à faire donc en fait, militons et militons super mal. On est tous nés dans une société raciste, misogyne, transphobe, LGBT phobe , validiste, enfantiste. On vient tous d’un truc ou on doit déconstruire à quel point on est victime et auteur ou autrice. On va le faire et on va mal le faire et ça va être super.

AAS : Dans ton album, il y a du bruit, des insectes, de la mélodie, du corps. Comment as-tu pensé l’esthétique musicale de Parasite ? Tu voulais que ça rampe, que ça pique, que ça frappe, n’est-ce pas ?

LOUISADONNA : Oui (rires). Je suis fan d’hyper pop depuis le jour ou Charli XCX a commencé à collaborer avec A.G. Cook, il y a bien longtemps. Et je suis fan de toutes ces sonorités qui m’attrapent vraiment dans la chair, de basses hyper sub et de synthés complétement saturés, à la limite de l’agréable parfois, quand tu écoutes. Il y avait déjà cette matière sonore qui tournait un peu autour du parasite, autour de quelque chose de presque violent. C’était ce qui m’attrapait directement, ce qui me paraissait juste dès le départ.

AAS : Tu as grandi dans un petit village de 300 habitants en Haute-Savoie. Tu dis que retourner à la nature te fait du bien. Comment tu vis le fait de te mettre en scène, d’être écoute, suivie, dans un monde numérique, surexposé ? Est-ce qu’il t’arrive de vouloir t’effacer à nouveau ?

LOUISADONNA : J’ai l’impression que je combine un peu les deux et ça me va bien. Je viens vraiment de la campagne. J’ai grandi au milieu des insectes, de la nature, des vaches… jusqu’à mes 18 ans. Je suis arrivée à Paris ensuite pour mes études de psycho et pour faire de la musique. Mais j’ai passé mon enfance au milieu des champs, dans un endroit où, si t’as pas ton permis, tu ne peux même pas aller acheter du pain (rires). J’ai senti que j’avais besoin de retrouver quelque chose de plus naturel. Parfois, en côtoyant des gens de la ville, et même parfois des gens de la campagne, j’ai remarqué un truc dans la manière de détester les insectes. On entend facilement : « Je déteste le araignées » et hop, on les écrase. Et ça ne choque personne. Je trouve ça très révélateur. C’est représentatif du mépris qu’on a pour ce qui semble plus faible, et plus largement, pour la nature. Je ne comprends pas qu’on ne s’interroge pas plus sur notre rapport au vivant. Ça me choque de voir des gens paniquer à la vue d’une abeille. Il me semble qu’on a détruit 40 %, voire 60 % des insectes en à peine vingt ans. C’est symptomatique de notre époque : la nature, ça nous dérange. Alors qu’on a besoin d’elle. On est beaucoup trop dans une posture de supériorité par rapport au vivant. J’ai envie de réhabiliter ça. Ce n’est pas le cœur de l’album, mais ça fait partie de cette question plus large : qui domine qui, et pourquoi ? Après, je ne vais pas faire ma puriste en disant qu’il est interdit de tuer un moustique qui t’empêche de dormir. Mais je pense que c’est important de se poser la question.

AAS : Tu te vois comment dans quelques années ? Est-ce que tu te vois encore en train de crier ta rage en pop saturée où rêves-tu d’un monde où tu pourrais chanter plus « doucement » ?

LOUISADONNA : J’ai très peu de perceptions de moi dans l’avenir. Je ne me projette pas du tout. Je n’en ai aucune idée. Je suis plus dans l’instant et la nécessité actuelle. Est-ce que dans quelques années j’aurais moins besoin de crier … Soit parce que le monde ira mieux, soit parce que moi personnellement, je ne ressentirai plus ce besoin…Je ne sais pas non plus. Je sais juste que, me connaissant, je serai toujours en train de faire ce qui me parait juste, et dans l’urgence de faire ce qui me parait important.

AAS : Quels sont les artistes à suivre selon toi ? Celles et ceux qui comme toi bousculent, dérangent, construisent ?

LOUISADONNA : SOPYCAL, j’adore ce qu’elle fait. Elle a quand même passé un step, ou elle parle en tant que victime de ce qu’elle a subi. C’est un projet super beau qui mélange la pop, le rap et l’urbain.

ICI MODESTA, c’est hyper poétique, et en même temps elle va de plus loin dans des textes, qui deviennent de plus en plus politiques. J’aime beaucoup. C’est une forme de poésie politique, entre le slam et la pop, c’est très beau.

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